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Gilles Courat

Les Artistes

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L'Artiste

La fascination pour la métamorphose n’a pas d’âge ; elle servait il y a bien

des siècles à expliquer le monde, reliant entre elles les diverses formes du vivant.

 

Aujourd’hui, je la lis au cœur même des images de Gilles Courat.

Sous nos yeux, le mouvement du corps féminin semble soudain s’être figé,

mais dans une éternelle fluidité. Subtile et obscure transmutation opérant

dans l’entre-deux de la chair lisse et de l’arbre torturé, de la rondeur d’un sein

et de la volute d’une fumée, de la paix d’un visage aux yeux clos et de la pierre taraudée par le temps. Un corps, une feuille, une plume, une fumée fusionnent pour respirer d’un nouveau souffle. Sans que les limites entre les formes de la vie ne deviennent étanches : aux frontières des corps éthérés vacille l’esprit

qui s’en échappe et tout demeure en mouvement, les sculpturales gisantes

elles-mêmes sont parcourues de rêves immobiles, de soupirs inaudibles…

 

Au cœur de ces images, juste dans la force du ressenti, je me perds entre deux lectures, deux natures, deux visages des élémentaux… Comment dire si l’on fait face à une nudité qui se révèle, ou à la nature originelle, le corps tel qu’il est

au monde, écrit dans une complexité nouvelle, recomposé, re-vêtu ?

 

Apparition ou disparition ? On peut jouer à retirer l’un après l’autre les voiles multiples, strates impalpables, terre et feu, eau et racines. Contemple-t-on

pour autant la simple nudité biblique ou  plutôt assistons-nous à la lente absorption d’un corps de femme dans les ultimes volutes de l’esprit,

permanence autant qu’essence d’une splendeur charnelle qui résiste à s’effacer.

 

Quand les Grecs envisageaient la métamorphose comme une punition, l’homme ou la femme, victimes des dieux ou de leur propre démesure, s’éloignaient

d’eux-mêmes, se séparaient de tout ce qui leur était cher. Car devenir arbre

ou rocher ou source, c’est aussi entrer dans une autre dimension, une autre durée. Punition ? Faudrait-il penser que dans l’être métamorphosé les dieux laissaient assez de conscience humaine pour qu’il souffre et regrette.Les implacables Olympiens en étaient bien capables !

Nous sommes tellement habitués à admirer les nymphes et tous les esprits

de la nature sous leur apparence achevée, séduisante, tentatrice, quand la forme humaine s’est dégagée de la matière, qu’il est courant d’oublier l’alchimie

de leur naissance, l’accouchement tumultueux, la douleur silencieuse

d’une matière qui s’arrache et disparaît, en laissant advenir une autre.

Sont-elles fées ? Le mot ne vient pas spontanément à l’esprit.

Un des fondamentaux de la fée est d’intervenir dans la vie des hommes,

de modifier leur avenir, d’incarner leur destin… Ici, les femmes transfigurées

sont fermées sur le mystère de leur transmutation, enfouies dans l’épaisseur

des éléments, entraînées hors de notre atteinte. Elles nous interrogent et nous laissent face à leur mystère, à nos questions. Elles sont la force de la nature éternelle, aveugle, la puissance de la matière, de la glaise à la fleur…

 

Et je regarde, et j’entre dans la profondeur claire obscure de l’image,

et je me perds.

​

« Je ne pourrais croire qu’en un Dieu sachant danser » affirmaient Nietzsche

et Zarathoustra d’une même voix. Les femmes branches, arbres, racines ou insectes proclament l’exigence de la danse, tension invisible et perfection.

Si leurs corps disent leur ascèse et leur fragilité, ou racontent le temps suspendu, elles accordent peu de regards, et quand l’œil s’ouvre, il se fixe dans un ailleurs

en deçà de lui-même.

​

Dans chacune des images se jouent des noces alchimiques où la splendeur

des corps, leur défi à toute fin dernière, s’allie à l’os, à la coquille vidée

de son habitant légitime, aux nervures de la feuille, aux écorces fossilisées,

aux convulsions de la terre, à l’érosion des roches. L’ambigu toujours,

quand le corps perce la glaise (sans passer par l’intermédiaire d’un dieu jaloux), quand une femme émerge comme un lotus de l’étain vieilli des eaux mates.

Et si le feu s’embrase – son ardeur vient-elle réchauffer ou consumer ?

il emporte, enlace, dévore et sublime l’élan vers un registre supérieur.

 

Fils et filandres, racines, bois morts, graines errantes aux longs filaments,

tout évolue dans une perfection éphémère, enchâssée dans les rets du temps

et l’épaisseur noire de la terre. 

 

Une prière et un recours à une nature-mère à forger encore ?

                                                          

                                               Claudine Glot   -  Autrice

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